L'apparition des premières tranchées, il y a tout juste 90 ans, sur le front nord-est de la France, et l'arrivée d'un armement moderne, plongeaient l'Europe et le monde dans une guerre longue, provoquant un désastre humain sans commune mesure avec les conflits actuels.

"1914-1918 c'est une guerre d'artillerie, une guerre de matériel", affirme Jean-Jacques Becker, président du centre de recherche de l'Historial de la Grande-guerre de Péronne (Somme).



En France comme en Allemagne, les mobilisés d'août 1914 croyaient en une guerre courte, qui se règlerait en une ou deux grandes batailles. Mais dès l'automne, le front se fige. L'enlisement bouleverse les données du conflit.

"On enregistre des pertes que personne n'imaginait. Fin 1914, la moitié de l'armée française qui avait débuté la guerre est hors de combat", souligne Jean-Jacques Becker, également professeur à l'université Paris X.



Vingt mille soldats français sont tués dans le nord de la Lorraine pour la seule journée du 22 août 1914. 40.000 en trois jours. Les pertes sont aussi considérables dans les rangs allemands.

La France, qui ne dispose pas suffisamment d'artillerie lourde, lance en octobre 1914 un vaste programme de fabrication de canons et de munitions.

Quelque 500.000 soldats seront renvoyés du front vers l'arrière et la main d'oeuvre féminine sera fortement mobilisée, notamment dans les deux grands centres d'industrie de guerre de Saint-Etienne et de la région parisienne.

En quelques mois, on assiste à une industrialisation de la guerre. L'artillerie lourde, l'aviation, les chars (à partir de 1916), mais aussi les chemins de fer pour transporter les troupes et le matériel sont utilisés massivement. Des centaines de milliers de kms de barbelés sont fabriqués de part et d'autre.

Au début de la guerre, l'armée française ne dispose que de quelques dizaines de véhicules à moteur, à la fin elle en comptera environ 100.000.

Côté allemand, le canon Krupp à longue portée - la Grosse Bertha, utilisée pour bombarder Paris - préfigure les "armes de destruction massive" et sème la terreur dans les rangs français. En avril 1915, à Ypres (Belgique), les Allemands utilisent pour la première fois les gaz de combat.

"Ce sont des armes difficiles à manier, mais moralement c'est un élément extrêmement dur à supporter. Les soldats vivaient dans la crainte permanente des gaz, ça a eu des conséquences psychologiques considérables", souligne Jean-Jacques Becker.

Les gaz seront massivement utilisés par les deux camps, malgré les décisions de la Conférence internationale de La Haye, qui avait interdit dès 1907 le recours aux armes chimiques. Avec un impact sur la mémoire collective que les menaces d'attentats chimiques ou bactériologiques ravivent près d'un siècle plus tard.

En quatre ans, le premier conflit mondial provoquera une hécatombe sans précédent: neuf millions de morts et vingt millions de blessés.

"On a calculé qu'il y a eu, en moyenne, 900 morts français par jour pendant toute la durée de la guerre, note Jean-Jacques Becker. Quand on compare avec des conflits actuels où l'on compte les morts un par un et qu'on s'en indigne..."

mercredi 10 novembre 2004, AFP